17 Février 2021

[MARS 2020] Confinement certain pour les échantillons martiens

Quarantaine, sécurité sanitaire… Une discussion sur la COVID-19 ? Non, des échanges entre experts de la « protection planétaire » sur les échantillons de Mars attendus sur Terre en 2031. Leur confinement se prépare maintenant !
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Crédits : NASA/JPL-Caltech.

 

2031. Les 1ers échantillons de sols et roches de la planète Mars approchent de la Terre. Leur atterrissage est prévu aux États-Unis, dans l’Utah. Où seront-ils conduits ? Comment seront-ils ouverts et analysés ? Avec quelles précautions ? Ces questions sont au coeur d’intenses discussions afin de respecter les règles de la « protection planétaire ». Ces règles garantissent qu’aucune forme de vie extraterrestre éventuelle ne puisse se retrouver par inadvertance dans la biosphère terrestre.

Ce n’est pas de la science-fiction !

Après son atterrissage sur Mars le 18 février 2021, le rover Perseverance de la mission Mars 2020 va prélever une quarantaine d’échantillons dans les terrains du cratère Jezero. Ces prélèvements constituent la 1re étape de la méga-mission Mars Sample Return dont l'objectif est de ramener sur Terre des échantillons martiens pour les étudier avec les techniques et instruments les plus pointus. Or, « on ne peut écarter la présence d’une forme de vie dormante ou active sur Mars. L’eau y existe parfois à l’état liquide, certes très brièvement et dans des conditions très particulières (NDLR : forte salinité) mais, on connait sur Terre des espèces capables de vivre dans des milieux extrêmes » indique Michel Viso, expert en exobiologie et protection planétaire au CNES.

Il y a des milliards d’années, le cratère de Jezero hébergeait un lac. Crédits : NASA/JPL-Caltech.

Cadre règlementaire de la protection planétaire

Le cadre général en matière de protection planétaire découle de l'article 9 du Traité de l'espace de l’ONU de 1967, ratifié aujourd’hui par 120 pays. Cet article engage les États signataires à procéder à l’exploration des corps célestes « de manière à éviter les effets préjudiciables de leur contamination ainsi que les modifications nocives du milieu terrestre résultat de l’introduction de substances extraterrestres ». Le Comité pour la recherche spatiale (COSPAR) édicte des règles pour y aboutir. Leur mise en œuvre reste de la responsabilité de chacun des pays qui lancent ou opèrent les sondes spatiales.

Ces règles sont plus ou moins exigeantes selon l’astre visité, si l'engin spatial reste en orbite, se pose ou prélève des échantillons qui seront ramenés sur Terre. Elles sont actualisées régulièrement en fonction des découvertes scientifiques et besoins exprimés. Ainsi, en juin 2020, Europe (satellite de Jupiter) et Encelade (satellite de Saturne) ont rejoint Mars dans la liste des objets nécessitant une attention particulière en raison de la mise en évidence d’eau liquide sous la glace qui les recouvre, les rendant potentiellement « habitables ».

Stérilisation d'un tube à prélèvements du rover Perseverance. Crédits : NASA/JPL-Caltech.

Le saviez-vous ?

Dans le monde, 2 personnes sont « officiers chargés de la protection planétaire », appelés aussi « agents de la protection planétaire ». L'une travaille à l'agence spatiale américaine (NASA), l'autre à l'agence spatiale européenne (ESA). Cela tombe bien Mars Sample Return est une mission NASA-ESA !

 

Ne pas contaminer Mars

« Le cadre règlementaire du COSPAR vise à éviter 2 sortes de contamination. Premièrement, éviter de contaminer l’objet céleste avec des microorganismes terriens. Ceci a pour but de ne pas interférer avec la possibilité de détecter des signes de la présence d’une vie passée ou actuelle sur l’objet. Toute mission se posant sur un astre abritant potentiellement la vie est ainsi tenue d’être stérilisée — que ce soit les roues du rover, ses instruments, le parachute ou le bouclier thermique » explique Athena Coustenis, planétologue, présidente du Comité sur la protection planétaire du COSPAR et du Comité consultatif scientifique sur les vols habités et l'exploration spatiale de l’ESA.

Cette stérilisation peut utiliser la chaleur mais ce n’est pas toujours possible, notamment pour les instruments scientifiques (déformation, perte de fonction…). « Selon la nature des composants à stériliser, on a recours à l'alcool, au peroxyde d'hydrogène, à l'eau de Javel, à là l'oxyde d’éthylène ou à l'irradiation sous UV. Il est aussi essentiel de garantir une propreté chimique rigoureuse afin de ne pas apporter de composés chimiques qui pourraient être détectés, plus tard, comme des « traces de vie » locales » indique Michel Viso, représentant du CNES auprès du Comité sur la protection planétaire du COSPAR.

Athena Coustenis, directrice de recherche CNRS au LESIA et Observatoire de Paris-PSL, présidente du Comité sur la protection planétaire du COSPAR. Crédits : AC.

Stérilisation des tubes à prélèvements du rover Perseverance. Crédits : NASA/JPL-Caltech.

Ne pas contaminer la Terre

« La 2ème contamination à éviter absolument est celle de notre biosphère par des échantillons extraterrestres. Dans le cas du projet Mars Sample Return, la conception des engins spatiaux doit se conformer à une méthode pour rompre la chaine de contact avec Mars. Aucun matériau prélevé sur Mars ne peut être renvoyé sur Terre directement. Les boites avec les échantillons doivent être confinées dans des conteneurs étanches jusqu’à leur transport sur Terre dans une installation de réception spéciale où ils pourront être ouverts sous confinement » indique Athena Coustenis.

L'ensemble de la méga-mission Mars Sample Return, dont fait partie Mars 2020, a été conçue en ce sens (voir infographie animée). Après son atterrissage dans l’Utah, la capsule de rentrée atmosphérique contenant les échantillons — doublement enfermés dans des conteneurs étanches — sera transportée dans un laboratoire américain appelé « Sample Receiving Facility ». Ce laboratoire d'accueil, qui n’est pas encore construit, correspondra aux normes de sécurité biologiques les plus élevées, soit celles des laboratoires P4. Là, la capsule sera démontée, les conteneurs seront ouverts et les tubes répertoriés. Les échantillons seront alors répartis en 3 lots :

  • un lot sera conservé pour les générations futures
  • un lot sera réservé pour des analyses de planétologie, chimie, géochimie...
  • un lot subira des opérations de quarantaine qui consisteront à rechercher si une forme de vie est éventuellement présente (du genre bactérie) ou s’il y aurait des risques biologiques transmissibles (comme des prions par exemple).

À l’initiative du CNES, l’agence spatiale européenne (ESA) étudie la possibilité de construire un « Sample Receiving Faciliy » en Europe afin d'y recevoir des échantillons du 3e lot et rechercher des formes de vie martienne éventuelles. Une telle infrastructure, qui pourrait se situer en France, assurerait une contribution importante et visible de l’Europe aux découvertes qui seront faites. Elle constituera un stimulant pour l’industrie et valorisera l’excellence de la recherche européenne dans le domaine des sciences de la vie. « Il est essentiel que la communauté scientifique en biologie en France et en Europe s’empare du sujet » souligne Michel Viso.

« Certains reprochent aux procédures de protection planétaire de coûter cher et de freiner l’exploration et la recherche. Mais ces protocoles assurent que nous ne compromettons pas les investigations scientifiques liées à l’exploration spatiale et que nous n’étudions pas nos propres micro-organismes, mais bel et bien ce pour quoi la mission a été financée » conclut Athéna Coustenis.

Michel Viso, expert en exobiologie et protection planétaire au CNES. Crédits : CNES.

 

La mission Mars Sample Return comprend 4 lancements, dont un depuis le sol de Mars. Voir en version animée. Crédits : ESA–K. Oldenburg.

 

Modèle conceptuel du conteneur étanche dans lequel seront placés les tubes à prélèvements avec les échantillons martiens. Crédits : NASA/JPL-Caltech.


QUID Des échantillons lunaires et d’astéroïdes ?

En décembre 2020, les prélèvements de sol lunaire de la mission chinoise Chang'e 5 et des échantillons de l’astéroïde Ruygu de la mission japonaise Hayabusa-2 sont arrivés sur Terre. Classées en « catégorie V sans restriction » par le COSPAR, ces 2 missions ont bénéficié de mesures de protection importantes, non pour éviter de contaminer notre biosphère mais, par crainte de contaminer les échantillons avec notre propre environnement terrestre et de fausser les observations. La lune et les astéroïdes sont des astres sur lesquels l'eau n'a pas pu exister à l'état liquide et qui n'ont pas pu connaitre le développement de quelque forme de vie que ce soit.